Voici le deuxième épisode de notre suite d’article sur l’épopée Manufrance, si vous avez manqué le premier volet, n’hésitez pas à le consulter en cliquant sur le lien suivant : https://www.chassepassion.net/dossier-chasse/periscope/la-saga-manufrance-la-creation-dun-geant-de-larmurerie-et-de-lindustrie/
Dans le dernier épisode de notre saga Manufrance, nous avons pu découvrir l’aventure d’Étienne Mimard, cet entrepreneur de génie qui avait pu développer avec l’aide de son associé l’une des entreprises les plus florissantes d’avant-guerre. Après la seconde guerre mondiale, et le décès de ce dernier, les choses ont radicalement changé pour la manufacture qui a dû se reconstruire et se moderniser.
La reconstruction.
Lorsque la seconde guerre mondiale prend fin, la manufacture de Saint-Étienne possède un grand potentiel mais un outil de travail qui doit être reconstruit et se moderniser pour redevenir compétitif. C’est le début d’une nouvelle époque pour l’entreprise qui souhaite retrouver sa superbe et va pour cela multiplier les investissements.
Pour affirmer son retour dans le monde des affaires, Manufrance va commencer par reprendre les impressions de son désormais célèbre « Tarif album » qui deviendra plus tard le catalogue Manufrance ainsi que l’édition du Chasseur Français.
Près d’une dizaine d’années se sont écoulées avant que le catalogue ne soit de nouveau mis à disposition de la clientèle et c’est en 1948 que la dénomination « Manufrance » apparaîtra pour la première fois sur la couverture. L’appellation « Manufrance » avait pourtant déjà été utilisée dès 1936 sur demande du directeur du service publicité dans le but de faciliter les échanges au sein de l’entreprise comme avec les fournisseurs.
Le nom de Manufrance sera depuis lors le seul qui restera gravé dans les têtes et utilisé au quotidien par les clients de la Manufacture.
Afin d’être en mesure de proposer un catalogue suffisamment étoffé à sa clientèle, Manufrance doit trouver des solutions le temps de remettre en état ses moyens de production. Le président de l’époque, Pierre Drevet, mise alors sur le négoce le temps que les investissements soient réalisés sur la partie industrielle. Cela permettra à l’entreprise de dégager du chiffre d’affaires le temps de réorganiser l’activité, de mettre en place un parc de machines-outils efficace et de réapprovisionner l’usine en matières premières.
Manufrance va même se moderniser au niveau technologique pour la gestion des commandes et des stocks avec l’implantation d’un ordinateur IBM 360, un ancêtre de nos ordinateurs actuels, dès 1967.
Cette politique sera mise en place jusqu’au début des années 1960 même si la manufacture de Saint-Étienne va connaître quelques déboires.
Le début des difficultés de Manufrance.
Si l’après-guerre est une période faste pour l’industrie et de nombreux secteurs d’activité, c’est aussi une période propice au changement, dont quelques-uns ont chamboulé beaucoup de choses d’un point de vue commercial.
Dès 1956 Manufrance doit trouver des solutions pour combler les pertes occasionnées par la publication d’un arrêté interdisant l’exportation des fusils de chasse vers de nombreux pays d’Afrique. Dans quelques pays d’Afrique du Nord, d’Afrique occidentale et équatoriale qui étaient sous influence française, le processus de décolonisation est lancé, privant alors Manufrance d’une partie de ses revenus.
Ce n’est pas la seule difficulté à laquelle Manufrance devra faire face car le monde change et l’Europe commence à ouvrir ses frontières, entraînant par la même occasion l’arrivée de concurrents étrangers sur le marché. La concurrence se faisant désormais au niveau international, les entreprises françaises n’ont pas eu d’autre choix que de s’adapter pour survivre. Ce fut le cas sur plusieurs activités de Manufrance comme la vente d’armes de chasse, les cycles ainsi que les machines à coudre dont les fabrications étrangères envahissent rapidement l’hexagone.
L’international n’était pas le seul plan sur lequel la manufacture a pu rencontrer des difficultés car en France, d’autres poids lourds de la vente par correspondance ont pu lui prendre des parts de marché comme les trois Suisses ou la Redoute.
L’arrivée des premiers supermarchés en France et du libre-service au début des années 60 sont également considérés comme une véritable menace pour Manufrance.
Pour autant, les différents PDG qui se sont succédés à la tête de l’entreprise suite au décès d’Étienne Mimard ne remettent jamais en cause leur stratégie commerciale et ne comptent que sur la notoriété de l’entreprise.
Le début de la fin.
Pour lutter contre la concurrence des supermarchés et d’autres poids lourds de la vente par correspondance, les dirigeants de Manufrance décident d’investir et de moderniser les maisons de vente (qui étaient des magasins de la marque) mais aussi d’en ouvrir plus qu’auparavant en les accompagnant d’une capacité de stockage importante.
Les prémices de l’informatique permettent alors une gestion plus facile de stocks importants, mais aussi des commandes par correspondance, encouragent les dirigeants dans cette voie des grands volumes et de la disponibilité rapide des produits partout où Manufrance se trouve.
Cette vision des choses poussera l’entreprise à la création d’un immense dépôt de stockage en 1974, nommé l’entrepôt Molina, situé à la périphérie de Saint-Étienne.
Pour pouvoir maîtriser tous ces mètres carrés de surface de vente et de stockage, la manufacture n’a d’autre choix que d’embaucher en conséquence et à cette période de la vie de l’entreprise le nombre de salariés se porte à 4000 personnes.
Les changements qui s’opèrent dans le monde entier et la modernisation de l’entreprise génèrent pourtant des frictions. Par exemple, la gestion informatique des stocks et des commandes qui se faisaient jusqu’ici manuellement fait craindre aux employés des pertes d’emplois. Les syndicats menacent alors de défendre les emplois par la grève ce qui pousse Manufrance à accepter des accords parfois insolites comme la double saisie comptable. Jusqu’en 1970 les informations seront saisies simultanément de manière manuelle et informatiquement.
En 1975, André Blanc arrive à la tête de Manufrance et hérite d’une société qui se trouve dans une situation préoccupante. Les investissements réalisés par ses prédécesseurs et les décisions qu’ils ont pu prendre d’un point de vue commercial ou sur la gestion du personnel pèsent sur la société qui perd désormais de l’argent.
Lorsqu’il fait l’état des lieux il se rend compte qu’il est le dirigeant d’une entreprise à la situation financière bancale, avec un parc de machines-outils vieillissant et avec un nombre de salariés très important à gérer.
Il se voit donc dans l’obligation d’appliquer un plan de redressement pour moderniser les magasins de Manufrance, les usines de fabrication, la restructuration des effectifs mais aussi faire accepter une période de chômage partiel afin d’écouler les stocks avant de reprendre la fabrication.
Selon André Blanc si ce plan de redressement n’est pas appliqué, les conséquences pourraient être catastrophiques et Manufrance pourrait être par la suite dans l’obligation de fermer des pans entiers de son activité comme celle de la fabrication d’armes. À cette époque, en 1977, la gauche vient de gagner la mairie de Saint-Étienne et cette dernière qui fait alors partie du conseil d’administration de l’entreprise refuse ce plan de redressement. André Blanc remettra alors sa démission dans la foulée.
La fin d’une époque.
Toutes ces difficultés rencontrées par Manufrance défraient la chronique et les journalistes de l’époque s’emparent alors de « l’Affaire Manufrance ». Comme l’entreprise emploie des milliers de personnes à travers toute la France, même les plus hautes sphères de l’État se sentent concernées par son avenir.
Pourtant les choses n’iront pas dans le bon sens dans les années qui suivent. Le poste de PDG va ressembler à un véritable jeu des chaises musicales, les différents directeurs ne parviendront pas à redresser la barre et Manufrance ne connaîtra plus qu’une succession de plans qui essaieront en vain de sortir l’entreprise d’une spirale infernale.
Malgré l’utilisation de l’image de quelques personnalités célèbres de l’époque comme l’embauche de Raymond Poulidor en tant que conseiller technique, Manufrance ne parviendra jamais à remettre la tête hors de l’eau.
Bien que plusieurs des PDG aient proposé des plans de restructuration ou des plans de redressement, ces plans ont systématiquement été refusés par les politiques en place, ce qui mènera Manufrance a changer de forme et elle deviendra en 1980 « la Société Nouvelle Manufrance ».
Cette Société Nouvelle est en réalité une sorte de montage permettant à Manufrance de créer une entité sans dettes mais toujours propriétaire de ses usines, de ses bureaux et lui permettant de continuer son activité.
Pour créer la Société Nouvelle Manufrance, il était impératif de trouver des actionnaires mais malheureusement, parmi les trois actionnaires privés ayant été sélectionnés, seul la MACIF s’est réellement investie dans le projet.
Ce manque d’investissement va rapidement mettre en difficulté la Société Nouvelle Manufrance et déboucher sur la colère des salariés. Ces derniers vont entreprendre une grève accompagnée d’occupation des locaux et certains responsables syndicaux iront même jusqu’à entamer une grève de la faim.
Dès le mois de juillet 1980, un homme d’affaires influent appelé Bernard Tapie étudie le dossier de Manufrance et propose son plan de reprise. Ce dernier est très mal perçu car assimilé à une sorte de démantèlement d’un fleuron de l’industrie française et les choses en resteront là.
Les salariés de l’entreprise continueront d’essayer de faire entendre leur voix pour que les pouvoirs publics se décident à sauver Manufrance. Des manifestations très importantes suivront ce mouvement à Saint-Étienne et même jusqu’à Paris. Dans le même temps les salariés de Manufrance qui se sentaient abandonnés de tous n’ont pas hésité à reprendre ce qu’ils estimaient leur appartenir. Considérant qu’on ne récompensait pas le fruit de leur travail, près de 40 000 fusils de chasse aurait été « mis de côté » par ces derniers.
En octobre 1980, le tribunal de commerce de Saint-Étienne prononce la liquidation judiciaire de la Société Nouvelle Manufrance, ce qui met un terme par la même occasion à la vie d’un fabricant et d’un distributeur que regrettent encore aujourd’hui plusieurs générations de Français.
Sources : Loire.fr Google Maps et saint-etienne.fr.
Une réflexion sur « La saga Manufrance : de l’après guerre à la liquidation judiciaire »
C’était la bonne époque.
Je me souviens pendant mon enfance feuilleter les catalogues Manufrance que mon père recevait ou il y avait de tout.
Du fusil de chasse et cartouches, poudre, plombs, pièges, en passant par les vélos etc…
Sans contrôle de quoi que ce soit on pouvait commander en toute liberté contrairement à l’époque actuelle ou l’on est contrôlé pour ci et pour çà (la chasse, la pêche, le piégeage et j’en passe).
C’est bien là que l’on voit que nos libertés ont disparues.